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MON DOC ET MOI : L’autocompassion, un outil en Soi

MON DOC ET MOI : L’autocompassion, un outil en Soi

Encore ce matin, dans mon bureau de consultation, le même constat me vient à l’esprit lorsque je rencontre des gens pour les accompagner dans leurs problématiques de santé. Malgré que nos technologies soient de plus en plus poussées pour faciliter le diagnostic, que nos options de traitements soient de plus en plus diversifiées, que le nombre de thérapeutes se multiplie et se spécialise pour accompagner les gens avec professionnalisme et dévouement… la souffrance, elle, ne diminue pas.

Par Dre Catherine Bouchard

Au contraire, dans les dernières années tout semble s’intensifier, aussi bien pour la souffrance associée aux nouveaux diagnostics en santé, aux problèmes psychologiques, mais aussi aux « échecs » personnels, professionnels, scolaires…

Que ce soit pour les diagnostics que nous posons, graves ou non, les maux physiques comme psychologiques, même pour les gens ayant amélioré leur santé, mais n’ayant pas atteint avec exactitude leurs objectifs, la souffrance est trop souvent au rendez-vous. 

Douleur ou souffrance?
« La douleur est inévitable, mais la souffrance est facultative ». Ce proverbe bouddhiste m’a beaucoup fait réfléchir sur les solutions potentielles à toute cette souffrance. La compassion est une valeur fondamentale chez les bouddhistes. Le mot compassion vient du latin cum patior, qui signifie aussi bien « souffrir avec » que de reconnaître la douleur de l’autre, sans jugement, pour mieux la comprendre.

La compassion implique aussi un sentiment de bienveillance et une volonté d’être présent pour la personne qui souffre. Elle fait partie de notre ADN. Elle nous pousse à prendre soin de ceux qu’on aime et à aider l’autre s’il est dans le besoin. Et si nous pouvions utiliser ce merveilleux outil envers nous-mêmes?

Bon envers soi d’abord!
L’autocompassion, c’est simplement de changer de destinataire et de devenir notre propre allié. De plus en plus étudiée en psychologie, l’autocompassion est un outil non seulement efficace, mais aussi gratuit et disponible à tout instant. C’est un peu comme avoir son meilleur ami à côté de soi en tout temps. Encore trop peu répandue, l’autocompassion se bute à la mentalité de performance et l’idée qu’être fort signifie de ne pas « s’apitoyer sur son sort ».

Cependant, les psychologues ayant étudié cette notion vous diraient que c’est tout à fait l’inverse. L’autocompassion n’est pas d’avoir pitié de soi. Il s’agit plutôt de regarder les émotions telles qu’elles sont et de constater que l’on souffre, sans jugement. Il ne s’agit pas de nier les épreuves, mais plutôt d’accepter qu’il y en aura toujours dans la vie et de s’aider à les traverser en cherchant des solutions.

Trois attitudes à développer
Une des pionnières dans le domaine de l’autocompassion, la psychologue Dre Kristin Neff, enseigne l’autocompassion depuis plusieurs années avec des résultats impressionnants, et ce non seulement dans le soulagement des symptômes psychologiques, mais dans d’autres conditions telles que la douleur chronique. Selon la Dre Neff, l’autocompassion réunirait trois attitudes fondamentales :

  1. Se considérer avec bienveillance, c’est-à-dire de faire preuve de douceur et de compréhension envers soi, sans se critiquer ou se blâmer.
  2. Reconnaître son humanité, se sentir en lien avec les autres et ne pas s’isoler.
  3. Expérimenter la pleine conscience, soit vivre l’expérience mesurée sans exagération ou diminution de la souffrance.

Une bienveillance aux mille vertus
Notre culture occidentale est un peu paradoxale. Nous sommes encouragés à être bienveillants envers l’autre, mais, au contraire, nous sommes très rudes envers nous-mêmes. La tape sur l’épaule que nous donnerions à notre ami se transforme rapidement en tape sur la tête en ce qui nous concerne.

Avoir une attitude bienveillante, c’est faire attention à notre discours intérieur et mettre un terme au jugement négatif que nous portons sur nous-mêmes. Se réduire en miettes quand nous faisons une erreur ou quand nous vivons une période difficile n’aide personne. Cependant, la bienveillance n’empêche pas la critique constructive.

Le fait d’éprouver de la bienveillance permet la libération de l’ocytocine, l’hormone de l’amour et de l’attachement, soit la même hormone que la femme sécrétera en grande quantité lors de la grossesse et l’accouchement. Les recherches ont révélé que l’ocytocine est associée à un sentiment profond de confiance, de sécurité, de calme, de générosité et d’interdépendance avec les autres, tout en diminuant la peur, l’anxiété et la sécrétion de cortisol, hormone associée au stress.

Ne pas attendre que l’accolade vienne de l’extérieur
Ainsi, la bienveillance apaise autant le corps que l’esprit. Alors, comment s’aider à avoir une attitude bienveillante? Surveiller son discours intérieur. Noter la critique et adoucir nos pensées envers nous-mêmes. Le prochain truc pourra vous paraître cocasse, mais le simple fait de se prendre soi-même dans ses bras pourrait nous aider grandement.

Les études prouvent que le contact physique provoque la libération d’ocytocine et diminue les tensions, tout en entrainant un sentiment de sécurité. Le corps ne se soucie pas du tout d’où vient cette accolade. Alors, pourquoi ne pas l’essayer? Allez, prenez-vous dans vos bras!!

L’erreur est humaine, ainsi que les épreuves…
La seconde attitude de l’autocompassion est de reconnaître son humanité; que nous sommes tous dans le même bateau; que l’erreur ou les épreuves sont humaines et inévitables et que nous partageons tous les mêmes expériences. C’est ce qui différencie l’autocompassion de la pitié envers soi-même.

Au lieu de se dire « pauvre de moi, j’ai mal au dos… », on aura le discours intérieur suivant « j’ai mal au dos, mais je ne suis pas seul.e, d’autres vivent la même chose que ce que je vis actuellement ». Le simple fait de réaliser que la douleur et l’échec sont des expériences partagées par tous nous permet de nous sentir unis aux autres, ça nous éloigne ainsi non seulement de l’isolement, mais cela nous permet de sortir du jeu de la comparaison et du perfectionnisme.

Si j’ai pris une mauvaise décision, au lieu de me comparer à ceux qui auraient fait différemment ou à mes « standards » de perfection, je peux choisir de me dire que l’erreur fait partie de la vie. Encore mieux, l’erreur, l’échec et les obstacles permettent souvent de grandir et d’apprendre si on se donne l’espace et la douceur pour le faire. Critiqueriez-vous l’enfant qui tombe en apprenant à marcher? Alors…

On ne peut pas soigner ce qu’on ne voit pas
Afin de pouvoir s’offrir de l’autocompassion, il faut savoir observer et nommer clairement la souffrance que nous vivons. La pleine conscience devient alors un précieux outil. On a souvent tendance à porter notre attention sur l’échec ou l’événement difficile au lieu de placer notre attention sur l’émotion ressentie. Pire, on va souvent même se culpabiliser pour l’émotion ressentie.

La pleine conscience consiste à porter son attention sur le moment présent, sur les pensées, émotions, sensations physiques et sur notre environnement sans porter de jugement. Certaines émotions sont difficiles, mais aucune n’est destructrice en soi. Elles le deviennent quand on s’y accroche (suridentification) ou qu’on les évite.

Se concentrer sur ses cinq sens ou encore sur sa respiration sont de bonnes façons d’expérimenter la pleine conscience. Sa pratique peut être formelle (méditation, yoga, exercice de respiration) ou informelle (faire les activités du quotidien sans vivre dans le passé ou le futur). Ainsi elle nous permettra d’identifier nos émotions afin de pouvoir mieux comprendre la souffrance que nous ressentons.

Et ensuite on fait quoi? Des maths!
La souffrance a souvent comme cause la différence entre notre réalité et nos idéaux. Elle nait souvent d’une résistance à la douleur, qu’elle soit physique ou psychologique. Ainsi, l’équation reflétant cette notion serait : Souffrance = Douleur x Résistance. Notre souffrance nait aussi souvent du désir que notre réalité soit différente. Résister à la douleur qu’une situation nous apporte ne fait qu’apporter plus de la souffrance dans notre vie. Si la résistance est nulle, ainsi sera la souffrance. Mais plus la résistance sera grande, plus la souffrance grandira.

La solution de cette équation? Elle se trouve dans l’acceptation qui est en fait l’inverse de la résistance. Mais elle n’est pas équivalente à la résignation ou la stagnation. Elle représente le choix conscient de voir la situation telle qu’elle est et d’accepter d’expérimenter les émotions telles qu’elles le sont, tout ça dans le but d’amener un changement.

Par exemple, à votre retour de vacances votre employeur vous a relocalisé dans une nouvelle équipe, plutôt que de vous avoir réintégré à l’ancienne. Vous pouvez choisir de rester dans la colère, le sentiment d’injustice, et de les cultiver. Ou vous pouvez observer vos émotions sans jugement, et choisir de vous orienter vers l’acceptation. Peut-être découvrirez-vous que cette nouvelle aventure de travail est une belle occasion de vous dépasser.

Accepter ne veut pas dire de se résigner
C’est vrai qu’il n’est pas toujours facile d’accepter les événements et les émotions qui s’y rattachent. Mais si on ne peut pas choisir nos émotions, on peut certainement changer notre relation avec elles et cheminer vers l’acceptation. Selon le psychologue Christopher Germer, ce processus nous permet de passer de l’aversion, à la curiosité, à la tolérance, à l’ouverture, puis à l’acceptation. Mais à force de pratique, ça devient de plus en plus facile et le soulagement apporté par l’acceptation nous encourage à le faire de plus en plus.

Commencez par vous pratiquer avec les petits événements du quotidien… En revenant de l’épicerie, vous réalisez que vous avez oublié l’item pour lequel vous y étiez spécifiquement allé. Au lieu de vous traiter de tous les noms, vous pouvez apaiser cette petite voix et lui rappeler que ça arrive à tout le monde, accepter l’erreur sur le champ et décider si vous y retournez ou non, l’esprit en paix.

Ou encore si une mauvaise chute vient raviver votre mal de dos, vous empêchant de faire la randonnée que vous aviez prévue, vous pourrez choisir d’accepter vos sensations physiques et psychologiques et rapidement planifier si vous irez en physiothérapie ou si vous choisirez de vous reposer plutôt que d’alimenter votre colère et votre déception durant tout le week-end.

Ce processus deviendra partie intégrante de votre vie. Si, un jour, un diagnostic ou une épreuve plus grave vous arrivait, vous saurez puiser à l’intérieur de vous la force d’écouter aussi bien vos pensées que votre corps et de vous éloigner plus rapidement de la souffrance.

Accessible, gratuit et sans effet secondaire
L’autocompassion nous aide au niveau des émotions plus difficiles. Elle nous permet de nous sortir du cercle vicieux des « montagnes russes » affectives qui régit trop souvent nos vies. Elle permet de développer une stabilité émotionnelle tout en étant un remède à la rumination et à l’autocritique. La recherche sur l’autocompassion a démontré un impact positif sur l’anxiété et la dépression. Sans oublier que c’est accessible, gratuit et sans effet secondaire.

Développer son autocompassion, c’est aussi développer son intelligence émotionnelle. Les recherches menées sur le sujet démontrent que les personnes compatissantes envers elles-mêmes ont une meilleure gestion de leurs émotions, sont plus sereines et ouvertes aux émotions d’autrui. Il est même prouvé que ces personnes sécrètent généralement moins d’hormones de stress lors d’une situation stressante, démontrant une meilleure tolérance au stress, une aptitude qui serait particulièrement utile dans les cas de stress post-traumatique.

Autocompassion et estime de soi
L’autocompassion est souvent comparée à l’estime de soi qui est, elle-même, souvent associée au bonheur. Pourtant, ces deux notions sont bien différentes. L’estime de soi est le regard que l’on porte sur soi-même et sur notre valeur en tant que personne. Elle se base souvent sur la perception que nous avons de notre propre compétence dans des domaines que nous jugeons importants et elle implique aussi une notion de comparaison avec autrui. Cependant, l’estime de soi nous rend fragiles à l’échec et à la critique.

Pour sa part, l’autocompassion ne consiste pas à mesurer sa valeur par rapport à ses résultats ou en comparaison avec autrui. Elle consiste plutôt à se reconnaître comme un être humain doté de forces et de faiblesses, à se percevoir tels que nous sommes, sans jugement, et à réaliser que les succès, échecs et défis viendront, mais ne définiront pas qui nous sommes. Ils ne feront que partie de l’expérience de la vie. Les études ayant observé l’estime de soi, l’autocompassion et le bonheur ont prouvé que l’autocompassion apporte les mêmes avantages que le fait d’avoir une haute estime de soi, sans pour autant en avoir les inconvénients en permettant la libération de l’ego.

Quand un conflit s’annonce
Un autre des avantages à être compatissant envers soi-même serait de nous permettre de cultiver de meilleures relations interpersonnelles. D’une part parce que les gens ayant de la compassion envers eux-mêmes en ont souvent plus envers les autres et qu’ils sont plus enclins à pardonner et à ne pas laisser trainer les conflits. Aussi parce que devant un conflit, l’autocompassion permet de créer un filtre qui va nous permettre d’apaiser les émotions à l’intérieur de soi avant de régler ledit conflit.

Combien de fois laissons-nous nos émotions nous submerger en tentant simultanément de régler le problème? C’est impossible! Nourrir l’espoir que l’autre voit notre souffrance peut facilement nous plonger dans une valse d’émotions qui aurait pu être évitée si on avait juste pris le temps de reconnaître notre propre souffrance nous-mêmes. En plus de nous apaiser, cela nous permettrait d’avoir une plus grande sérénité durant la gestion de la situation. Lors d’une prochaine querelle avec votre conjoint.e, collègue ou ami.e, essayez de faire une petite « pause autocompassion » avant de réagir, vous verrez… Le résultat est spectaculaire!

Concrètement …

Voici l’exercice que je vous conseille lorsque vous aurez à vivre une situation difficile :

  1. Permettez à la partie de vous qui souffre de s’exprimer :
    • Ancrez-vous dans le moment présent en utilisant votre respiration et nommez les émotions et la douleur que vous ressentez, qu’elles soient physiques ou psychologiques.
    • Écoutez vos pensées en prenant soin d’éviter tout jugement. Laissez-les simplement circuler librement. Rappelez-vous que vous êtes humain et que vous n’êtes pas seul dans cette situation.
  2. Laissez ensuite la partie objective à l’intérieur de vous faire état de la situation. Tentez de décrire ce que vous vivez en exposant seulement les faits, de façon neutre et détachée, comme si vous racontiez une histoire qui ne vous concerne pas. Toujours sans jugement.
  3. Puis, portez un regard bienveillant sur vous-même, sur ce que vous vivez et ressentez. Réconfortez-vous comme le ferait votre meilleur.e ami.e, que ce soit avec des mots qui font du bien ou encore en vous prenant dans vos bras.

 

Charité bien ordonnée commence par soi-même
Vous réaliserez bien vite que l’autocompassion est un outil des plus efficace pour vous aider à affronter autant les petits défis du quotidien, que les grosses tempêtes que la vie pourrait vous présenter.

Tel l’agent de bord dans l’avion qui, en cas de turbulences, vous dirait de mettre votre masque à oxygène avant d’aider votre voisin à mettre le sien, je vous encourage à prendre votre compassion en main et à devenir la personne qui prend soin de vous d’abord et avant tout. C’est le meilleur des remèdes qui soit!

 

Version intégrale du texte dans le numéro où est paru cet article

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