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BORIS CYRULNIK : Retrouver notre Liberté Intérieure

BORIS CYRULNIK : Retrouver notre Liberté Intérieure

Je me sens plus libre que jamais
Rencontre avec Boris Cyrulnik
 

Un tout petit mot : Liberté… L’idée que l’on se fait de la liberté fait rêver. Vivre une vie sans contraintes, ne pas se soumettre, ne dépendre de rien ni de personne, voilà le rêve. Nous voulons tous être libres, nous sentir libres.
Par Sylvie Lauzon, Journaliste

Cette dernière année et demie nous a en grande partie privés de ce que l’on conçoit comme étant la liberté. Nous avons traversé les contraintes du confinement et perdu pratiquement toute liberté d’expression, d’action et de mouvement.

L’incertitude s’est plus que jamais installée dans nos vies. Pourtant, ces longs mois d’isolement nous ont donné l’occasion de renouer avec ce possible espace de liberté qui existe peut-être là, à l’intérieur de nous. Un espace qu’il nous faut apprivoiser, voire parfois conquérir et reconquérir, un espace que l’on nomme bien souvent liberté intérieure.

Que veut dire être libre au juste?
Mais que veut réellement dire être libre? Est-ce qu’il existe deux libertés : une liberté extérieure liée aux contraintes physiques avec lesquelles on doit vivre et une liberté intérieure? Est-ce seulement possible d’être libre?

Le neuropsychiatre Boris Cyrulnik, celui-là même qui nous a fait découvrir et permis de comprendre le concept de la résilience, a été privé de liberté très jeune. Pratiquement toute sa famille a disparu dans les camps de concentration de la Seconde Guerre mondiale. À l’âge de six ans, il a été arrêté, puis a réussi à s’évader et à échapper à la déportation.

Converser avec lui de liberté devient une extraordinaire aventure. Avec ses mots, Boris Cyrulnik nous fait voyager dans l’histoire, dans la culture et les comportements humains, dans ses souvenirs. Il partage humblement ses connaissances acquises au fil du temps; un bagage riche de réflexions et de remises en question, parce que plus que tout, il n’apprécie pas ce qu’il qualifie de « pensée paresseuse ».

LA LIBERTÉ EXISTE-T-ELLE?

« Je pense que la liberté n’existe pas. Ce qui existe ce sont des moments de liberté, des instants de libération par lesquels on arrive à échapper à la contrainte, soit celle du milieu extérieur, soit les contraintes intérieures imprimées dans notre mémoire parce qu’on a trop bien appris nos leçons, ou encore parce qu’on a trop bien intériorisé les valeurs du milieu dans lequel on a grandi. » 

« Ce qui existe, ce sont des degrés de liberté. Quand on se soumet, on risque de perdre autant sa liberté extérieure qu’intérieure. Y a-t-il une différence entre liberté intérieure et extérieure? C’est exactement la question que je me pose. »

UNE ENFANCE FRACASSÉE

« Mon enfance est la motivation qui a donné un sens à tous mes efforts pendant toute ma vie. Comprendre ce qui m’est arrivé, comprendre ce qui arrive aux enfants blessés, traumatisés, cabossés par la vie, et voir comment on peut faire pour les aider à reprendre un bon développement… Voilà ce qui, dès l’âge de 10 ans, m’a poussé à vouloir devenir psychiatre. Bien entendu je resterai toujours celui qui a perdu sa famille, qui a été arrêté et qui a développé sa personnalité dans une condamnation à mort. »  

« Malgré mes six ans, je savais que les adultes autour de moi voulaient me tuer. Toute ma personnalité a été fondée là-dessus. Je n’avais aucune liberté puisque je devais vivre caché. Je ne sais pas comment elle a fait, mais ma mère m’avait transmis une confiance primitive parce qu’elle était sécurisante, et ça malgré la guerre et malgré le fait que mon père, engagé dans l’armée quand j’avais deux ans, n’était plus là. Elle a probablement continué à m’entourer et à me sécuriser, ce qui fait que lorsque j’ai été face à l’épreuve, j’ai eu peur, j’ai souffert, mais j’étais convaincu que je m’en sortirais, même si je n’avais que six ans et demi. Cette confiance en moi était une confiance délirante, ce n’était pas normal de croire que j’allais m’en sortir, MAIS ÇA A MARCHÉ. J’ai tenté ma chance et la chance a bien voulu me sourire. Si je n’avais pas eu confiance en moi, je n’aurais rien tenté du tout. »   

« Le problème, c’est que tous les individus n’ont pas cette capacité de développer leur liberté intérieure. Certains individus aiment adhérer à la doxa. Ils aiment se soumettre. On peut éprouver du bonheur dans la soumission. Ne pas avoir à réfléchir, obéir, prendre ce qu’on nous dit pour une vérité qu’elle provienne d’un dieu, d’un chef idéologique ou scientifique, c’est se soumettre. En Europe, il y a aujourd’hui un très grand nombre de régimes autoritaires, qui sont parfois carrément des dictateurs qui ont été élus démocratiquement. Et pourquoi ont-ils été élus par plus de la moitié de la population? Parce qu’ils apportent des certitudes qui permettent aux gens d’être tranquilles. Il me dit où se trouvent le bien et le mal, je vais voter pour lui, je suis tranquille, je n’ai pas à faire d’efforts. D’où le bonheur dans la servitude. Il y a des gens qui, comme moi, sont malheureux dans cette même servitude, mais en réalité c’est moitié-moitié, 50 % des gens préférant ne pas se poser de questions. » 

« Personnellement, chercher à comprendre a été mon espace de liberté intérieure. Je ne voulais pas me soumettre à ce qui m’arrivait, à ce qu’on me racontait.

Version intégrale du texte dans le numéro où est paru cet article

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