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ÉDITORIAL : Imagine...

ÉDITORIAL :  Imagine...

Imagine…

Dieu que la Vie est vaillante… Elle aurait bien pu choisir de simplifier sa propre vie en créant par exemple cinq variétés de poissons, dix variétés de fleurs, une douzaine d’oiseaux différents et une vingtaine d’espèces d’animaux. Mais non!

Et pas deux pareils!
Sa Créativité débordante fait en sorte qu’aujourd’hui on recense plus de 28 000 espèces de poissons, 352 000 variétés de plantes à fleurs, 9 990 espèces d’oiseaux et plus de 6 500 000 espèces d’animaux. Et pas deux spécimens pareils, toutes espèces confondues. Vous imaginez! Ça fait tout un inventaire à gérer.

Qui sait, la Vie est peut-être TDAH? Quoi… Quand quelqu’un ou quelque chose sort de l’ordinaire, on est vite sur la gâchette pour lui mettre une étiquette.

Unique? Oui! Différent? Jamais de la vie!
Et que dire des 7,7 milliards d’êtres humains que nous sommes et qui n’échappent pas à cette lubie créative de la Vie qu’une seule et unique copie suffit! Ça veut donc dire que vous, moi et nos 7,7 milliards de colocataires sommes tous uniques – ça notre ego aime ça – et donc, obligatoirement, nous sommes aussi tous différents. Oups!

Si être unique, individuellement parlant, c’est plutôt valorisant, être différent, socialement parlant, c’est surtout menaçant. Une société où on apprend de plus en plus jeune qu’il existe un moule dans lequel il faut entrer, faute de quoi on risque d’être médicamenté, isolé, ridiculisé, jugé ou pire rejeté, ça n’a rien de trop réjouissant.

Trop ou pas assez, par rapport à qui?
La famille sera le premier terreau qui va nous permettre de réaliser que certaines expressions de notre différence peuvent déranger – trop émotif, pas assez téméraire; trop de caractère, pas assez patient; trop rêveur, pas assez travaillant… – voilà autant de « mauvaises herbes » à arracher si on veut être accepté.

Mais trop et pas assez par rapport à qui? Par rapport à quoi? À nos frères? À nos sœurs? À ce qu’ont vécu nos parents? À ce que disent les voisins, les bouquins? On ne le sait vraiment pas, mais on sait qu’un moule nous attend et qu’il faut entrer dedans.

Tout pour ne pas être remarqué
Une fois à l’école, on va vite réaliser que le test d’adaptation qu’on a vécu à la maison n’était rien à côté de celui qui nous attend. Aux parents, face à qui on avait appris à taire certaines parties de nous pour plaire, vont s’ajouter un enseignant et 25 autres enfants. Et c’est sans parler de ceux qu’on va rencontrer dans la cour de récré.

Dans cette arène où la loi du plus fort est solidement implantée, on sera prêt à tout pour que notre différence ne nous fasse surtout pas remarquer, quitte à nous renier.

« L’as-tu vu celle-là!... »
Mais, dites-moi, si la Vie n’a ménagé aucun effort pour que nous soyons tous différents les uns des autres, pourquoi passe-t-on notre vie à vouloir être comme tout le monde? Et voulez-vous bien me dire qui, en se pensant plus fin que la Vie, a eu l’idée d’établir une liste exhaustive de trop et de pas assez pour que toute forme de différence soit condamnée.

Ça non plus, on ne le sait vraiment pas, mais on fait tous comme si c’était vrai. Conséquences? On ne peut plus s’empêcher de se juger les uns les autres en se comparant les uns aux autres : il est trop ceci, elle n’est pas assez cela et as-tu vu cet enfant? Comparaisons qui, par un simple regard, tournent vite en condamnations.

Imagine…
La Vie savait parfaitement ce qu’elle faisait en nous créant tous aussi uniques que différents et c’est justement grâce à cette multitude de différences qu’on peut évoluer 7,7 milliards de fois plus que si on était tous pareils.

Imaginez ce que serait la vie sans étiquettes, sans trop, ni pas assez; une vie où chacun voit la différence comme un cadeau reçu à la naissance; une vie où on ne se juge plus les uns les autres, mais où on apprend les uns des autres. Tiens, il me semble que j’entends John Lennon chanter « Imagine… »

Seul un homme qui sort de l’ordinaire pouvait composer un tel Hymne à la Différence… Et sur une planète sans étiquette, personne n’aurait jamais eu l’idée de peser sur la gâchette.

 

Lucie Douville, Éditrice

Version intégrale du texte dans le numéro où est paru cet article

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