Selon des statistiques canadiennes récentes, plus d’une personne sur dix souffrira de dépression majeure au cours de sa vie. Ce tableau s’assombrit lorsqu’on voit aussi la tendance à la hausse de prescription d’antidépresseurs chez les enfants. La médication aide certainement le contrôle de certains symptômes, mais ne limite visiblement pas la progression de cette nouvelle épidémie. Serait-il temps d’avoir une vision différente?
Par Dre Catherine Bouchard
Les prescriptions d’antidépresseurs sont en hausse fulgurante, ayant connu un bond estimé à 20 % dans les dernières années. Cependant, malgré une hausse dans la prescription de traitements médicamenteux, l’OMS estime que la dépression est une des causes les plus importantes d’invalidité.
Ainsi, nous traitons de plus en plus la maladie, mais nous n’en sommes pas moins affectés dans notre quotidien.
Qu’est-ce que la dépression?
Le mot « dépression » vient du mot latin depressio, qui veut dire enfoncement, qui, une fois conjugué, devient deprimere, synonyme de presser de haut en bas, évoquant ici l’impression de poids sur les épaules ressentie par les gens souffrant des symptômes de dépression. Afin de poser un diagnostic de dépression, votre médecin vous posera les questions permettant d’évaluer les éléments suivants :
- L’humeur dépressive
- La perte marquée d’intérêt
- La modification du poids
- Un changement du sommeil
- Un ralentissement ou une agitation psychomotrice
- La baisse du niveau d’énergie
- Un sentiment de dévalorisation ou de culpabilité
- Une altération de la concentration
- La présence d’idées noires
Le diagnostic comporte quand même un certain défi, car il n’existe pas de test ou de marqueur spécifique nous permettant de confirmer de façon non équivoque la présence ou non de la dépression, contrairement à la prise de sang qui, elle, permettrait de diagnostiquer un diabète.
Un défi de taille
L’autre défi diagnostic consiste au fait que plusieurs de ces symptômes peuvent, dans une certaine mesure, faire partie d’une réaction normale dans un contexte qui le justifierait : décès d’un proche, perte d’emploi… Le diagnostic sera alors déterminé selon l’intensité de la souffrance que les symptômes vont occasionner. Sans oublier que les symptômes dépressifs peuvent aussi être une manifestation d’une autre maladie sous-jacente, qui ajoute au défi diagnostique.
L’hypothèse la plus répandue quant à la cause de la dépression est un déséquilibre des neurotransmetteurs dans le cerveau. Les neurotransmetteurs sont des messagers chimiques que notre corps produit et qui assurent la transmission de l’information entre les neurones. Certains de ces neurotransmetteurs sont bien connus pour leurs effets sur la santé mentale. Notons par exemple la sérotonine, neurotransmetteur connu pour ses effets régulateurs de l’appétit, du sommeil et de l’humeur.
Mais quelle est LA cause?
Ainsi, nous avons longtemps suspecté que LA cause de la dépression était un manque de sérotonine. Par conséquent, plusieurs antidépresseurs agissent en augmentant l’effet de la sérotonine. Mais ce qui semblait pourtant prometteur ne donne malheureusement pas les effets escomptés.
On estime que près des 2/3 des gens prenant des antidépresseurs continuent d’avoir des symptômes. Ces médicaments seraient possiblement efficaces dans les cas de dépression sévère, cependant plusieurs études nous laissent présager que dans les cas de dépression légère à modérée, la médication ne serait pas plus efficace que le placebo.
Et si…
Ce qui nous amène à requestionner l’hypothèse du déséquilibre des neurotransmetteurs. De nouvelles hypothèses très intéressantes émergent grâce à la recherche. Ces hypothèses interrogent plutôt le rôle de l’inflammation dans la dépression, ou sur une dysfonction de mitochondries, petits organites présents dans les cellules qui sont responsables de la production d’énergie.
Une étude canadienne publiée en 2015 a démontré que les gens déprimés avaient un taux d’inflammation dans certaines régions du cerveau de 30 % supérieur à la normale. Plusieurs études subséquentes en sont arrivées au même résultat. Et si la dépression était le symptôme d’une problématique sous-jacente, et non une maladie en soi.
Vers une vision intégrative de la dépression
Le constat actuel est que nous ne pouvons plus considérer la dépression comme une maladie ayant une cause unique. Il est impératif de personnaliser le diagnostic et le traitement. « La dépression n’est pas une déficience en Prozac », dira à la blague Dr Mark Hyman, médecin pionnier dans le domaine de la médecine fonctionnelle. Il veut par là nous faire réaliser qu’il existe plusieurs éléments à considérer lors d’un diagnostic de dépression et que, pour viser une guérison, nous devons nous attaquer à la bonne cause.
Une des erreurs qui a été faite, et qui l’est encore souvent, c’est d’avoir séparé le cerveau du reste du corps lors de l’évaluation des problèmes psychologiques. Bien que le cerveau ne constitue qu’une petite partie du corps, il consomme 20 % de l’énergie totale produite par celui-ci et travaille en interdépendance constante avec lui. Il est donc primordial de considérer l’ensemble du corps pour mieux comprendre comment il en est arrivé à développer des symptômes dépressifs.
Ainsi, outre les symptômes psychologiques, l’évaluation devrait aussi intégrer une évaluation des symptômes physiques pouvant nous permettre de mieux comprendre et de mieux intervenir. Il est donc important de prendre en considération toutes les causes potentielles pouvant être à l’origine de la dépression.
Une histoire de gènes?
On entend souvent dire que la génétique est responsable de plusieurs maladies chroniques, et la dépression n’y fait pas exception. Effectivement, nous savons que la présence de certains gènes peut prédisposer un individu à développer une dépression, mais cette prédisposition n’est cependant pas une fatalité.
Le bagage génétique dont nous avons hérité de nos parents représente un peu comme une grande bibliothèque de possibilités. Cependant, la science de l’épigénétique nous apprend maintenant que nous pouvons activer ou non l’expression de ces gènes par notre mode de vie. Un peu comme si nos choix et nos actions allaient déterminer lesquels des livres de notre grande bibliothèque seraient lus.
La science ne nous dit pas encore exactement ce qui influence le choix des gènes qui seront activés, mais nous connaissons certains facteurs déterminants tels que le stress physique et psychologique, l’alimentation, la prise de drogues ou celle de médicaments. Naturellement, faire le choix d’une vie saine va favoriser l’activation de gènes sains ou, selon la métaphore, la lecture de bons livres.
Ainsi, notre génétique peut être la source d'une certaine prédisposition à développer une dépression, mais avec de bonnes habitudes de vie, cette prédisposition n’est pas une fatalité. Bonne nouvelle!
Un adversaire à ne pas sous-estimer
Le stress est une réaction saine du corps permettant de répondre à une situation aigüe. Cependant, l’activation chronique des mécanismes de stress est assurément un facteur de risque de développer une dépression. La sécrétion chronique de cortisol et de médiateurs inflammatoires est un des facteurs à considérer et surtout à corriger.
Outre le stress chronique, les stresseurs d’envergure tels que la perte d’un emploi, une séparation, un deuil ou un accident peuvent aussi être des déclencheurs de symptômes dépressifs. Dans ces périodes de vulnérabilité, le soutien d’un professionnel de la santé peut être indispensable. Les méthodes de gestion du stress telles que le yoga, la méditation, les techniques de respiration comme la cohérence cardiaque peuvent aussi être des atouts pour retrouver une santé psychologique.
L’exercice est aussi un excellent outil dans la gestion du stress grâce à ses effets sur les neurotransmetteurs et sur la diminution du cortisol. Une étude de l’université Duke aurait même démontré un effet comparable de l’exercice à celui du Zoloft, un antidépresseur bien connu.
Quand la notion d’équilibre prend tout son sens
Bien que nous ayons souvent tendance à les oublier lorsque notre moral est à plat, les hormones, elles, ne nous oublient pas! Nos hormones jouent des rôles qui touchent souvent l’ensemble de notre corps, le cerveau y compris. Elles fonctionnent en interdépendance les unes avec les autres et doivent s’équilibrer pour fonctionner à leur plein potentiel.
Les hormones les plus souvent impliquées dans la dépression sont les hormones thyroïdiennes, le cortisol, les hormones sexuelles (estrogène, progestérone, testostérone) et l’insuline. Évaluer adéquatement l’équilibre hormonal est primordial dans la recherche de la cause de la dépression.
Il est aussi important de mentionner que pour bien produire les hormones, notre corps aura besoin que nous lui fournissions les précurseurs nécessaires par notre alimentation : protéines diversifiées, bons gras, ainsi que vitamines et minéraux.
Attention aux carences…
Pour « construire » ce dont il a besoin pour être heureux, le corps doit avoir sous la main les bons « matériaux de construction ». Bien que tout semble se faire comme par magie, les processus grâce auxquels le corps crée les neurotransmetteurs et autres médiateurs reliés à une bonne santé cognitive sont complexes. Nous devons donc lui fournir les matériaux nécessaires. Tout d’abord, un bon apport en protéines est essentiel.
Les protéines seront dégradées lors du processus de digestion en toutes petites particules, les acides aminés qui, à leur tour, pourront être transformés en neurotransmetteurs. Si notre corps peut créer par lui-même certains acides aminés, d’autres doivent absolument être consommés par l’alimentation. Nous les appelons des acides aminés essentiels. Le tryptophane en est un.
Et vous savez quoi? C’est le tryptophane qui est le précurseur de la sérotonine, notre neurotransmetteur du bonheur. Les œufs, le fromage, les viandes et le soya sont de bonnes sources de tryptophane.
Mais ce n’est pas tout!
Il est aussi important de surveiller les carences en vitamines et en minéraux qui sont des cofacteurs importants non seulement dans la production des neurotransmetteurs, mais aussi dans la production des hormones, le fonctionnement des mitochondries et la gestion de l’inflammation.
Les plus importants dans le soutien de la santé psychologique sont la vitamine D, le magnésium, les vitamines du groupe B (particulièrement la B6), le zinc, le cuivre, le fer et l’iode pour ne donner que quelques exemples. Soulignons ici que la vitamine D et le magnésium comptent parmi les carences les plus fréquemment identifiées dans la population.
Vous vous assurerez d’un bon taux de vitamines et minéraux en consommant de bonnes sources de protéines, de légumes et fruits diversifiés. Cependant, une supplémentation peut parfois être nécessaire, d’où l’importance d’une évaluation complète à cet égard.
Choisir pour guérir
Finalement, un apport en acides gras est aussi primordial. Les acides gras sont de puissants régulateurs de l’inflammation et des précurseurs de plusieurs hormones. Ainsi, choisir des aliments riches en gras sains (particulièrement en oméga-3) comme l’huile d’olive, les poissons et les noix est aussi primordial pour avoir une bonne santé mentale.
Publiée en 2017, l’étude SMILE avait étudié l’effet de l’adoption d’une diète d’inspiration méditerranéenne chez les gens atteints de dépression sévère à modérée. Après seulement 12 semaines, 32 % des patients avaient guéri de leur dépression comparativement à 8 % chez le groupe n’ayant pas eu les mêmes recommandations alimentaires, et ce, sans compter les autres améliorations notées sur la santé métabolique des participants. Ceci démontre bien toute l’importance des choix alimentaires dans la recherche d’une santé mentale optimale.
L’abstinence? C’est parfois la solution
Je ne le dirai jamais assez! Les aliments transformés ne devraient être consommés que très, très, très rarement. Que ce soit à cause de leur déficit en nutriments essentiels ou à cause de la présence de multiples additifs aux effets dévastateurs sur le microbiote, les aliments transformés et hautement transformés sont aussi nuisibles à la santé mentale et physique. Plusieurs études le confirment : la consommation d’aliments transformés est associée au développement de symptômes anxiodépressifs.
Il est aussi important d’être à l’affut des allergies et intolérances alimentaires. Un bon exemple est celui de la maladie cœliaque. L’intestin développe une forte réaction inflammatoire auto-immune en réaction à l’ingestion du gluten, une protéine que l’on retrouve dans le blé, l’orge, le seigle et occasionnellement dans l’avoine.
La réaction immunitaire déclenchée causera des symptômes digestifs tels que diarrhées, douleurs abdominales ou ballonnements. Mais une forte proportion des personnes atteintes de la maladie cœliaque développeront aussi des symptômes dépressifs. Le manque d’absorption des nutriments et l’inflammation seront des facteurs qui provoquent l’apparition de ces symptômes.
On ne le dira jamais assez!
Sans réellement déclencher une maladie auto-immune, certains aliments peuvent toutefois déclencher un processus inflammatoire et potentiellement des symptômes digestifs. Les produits contenant du blé et les produits laitiers en sont deux exemples.
La casomorphine et la gliadorphine, produits de la digestion incomplète de la caséine des produits laitiers et de la gliadine du blé, auraient été associées à la présence de symptômes dépressifs et à un statut inflammatoire plus élevé. Ainsi, l’exclusion de certains aliments peut être une solution en tenant compte de la tolérance individuelle.
L’intestin et le cerveau : deux alliés indissociables
La complicité entre l’intestin et le cerveau est de plus en plus connue. À l’intérieur de notre intestin, on retrouve 100 trillions de microorganismes, soit 4 fois plus que le nombre de cellules que contient notre corps. La diversité et la santé de ces microorganismes sont en étroite relation avec notre santé mentale. Une dysbiose intestinale, soit un déséquilibre du microbiote, peut être source d’inflammation et être responsable de la production de métabolites néfastes pour notre santé mentale.
Et si notre intestin est le siège de la production de 95 % de la sérotonine, sa santé relève surtout de l’importance de sa structure. Un intestin en mauvaise santé ne permettra pas l’absorption adéquate des nutriments essentiels à notre santé globale. Il pourrait même perdre son rôle de barrière et devenir perméable, laissant ainsi entrer dans notre corps des particules indésirables qui vont engendrer un effet inflammatoire important à ne pas négliger.
Notre intestin est aussi relié à notre cerveau par le nerf vague, un long nerf aux effets bidirectionnels. Ainsi, nos pensées et nos émotions affectent notre intestin, comme lorsque la nervosité nous cause des troubles digestifs par exemple. Mais l’inverse est aussi vrai. Ce nerf est aussi impliqué dans la régulation du stress par l’entremise de la régulation du système nerveux autonome. L’intestin, le cerveau et le nerf vague forment un excellent trio mis à notre service pour soutenir notre santé mentale.
La dépression en cadeau?
Dre Kelly Brogan, psychiatre holistique américaine, nous dit qu’en fin de compte, la dépression veut peut-être simplement notre bien… Que les symptômes dépressifs – que ce soit le désir de dormir, le manque d’appétit, l’isolement – viendraient nous dire que quelque chose ne va pas, que notre corps doit ralentir et surtout que nous devons comprendre pourquoi!
Un cadeau mal emballé, direz-vous? Mais les gens ayant guéri de leur dépression grâce à un mode de vie sain et mieux adapté vous diraient que leur dépression les aura aidés à retrouver une santé globale! Que ce soit grâce à une alimentation plus saine, à l’éviction de certains aliments, à un meilleur équilibre hormonal, à une meilleure gestion du stress ou à une meilleure santé intestinale, le fait d’avoir des pistes de solution devrait redonner espoir aux gens vivant avec des symptômes dépressifs.
Limite ou opportunité?
N'oubliez pas que chaque dépression est différente parce que chaque personne est différente. La dépression vient peut-être tout simplement vous dire que quelque chose ne va pas et qu’il est temps de prendre soin de vous. Au lieu de la percevoir comme une limite, voyez la dépression comme une opportunité de retrouver votre chemin vers une santé globale. Et sachez que plusieurs intervenants peuvent vous accompagner sur ce chemin.
Version intégrale du texte dans le numéro où est paru cet article