En regardant l’étonnant parcours de Stéphane Allix, on ne peut s’empêcher de constater que tout ce qu’il fait trouve preneur, comme de bons petits pains chauds. On a l’impression que rien dans sa vie professionnelle n’est parti en brioche. Le succès lui sourit et nous en sommes ravis, car sa contribution à la compréhension de nombreux phénomènes, très peu souvent abordés, est grande.
Par Sylvie Ouellet
Une telle réussite tient-elle en une absence de la peur d’échouer? Stéphane a généreusement accepté de nous livrer sa vision sur la question.
Avez-vous déjà craint l’échec?
Dans mon métier de journaliste, j’ai toujours pris des engagements sans savoir si je pouvais les tenir. Le jeu oblige. En effet, convaincre un rédacteur en chef de m’envoyer en reportage requérait de l’assurance. Je ne me posais pas de questions, car je n’avais pas peur d’échouer. Mais, lorsque j'ai été confronté pour la première fois à un frein extérieur empêchant la réalisation d’un projet, j’ai eu du mal à le gérer.
Que s’est-il passé?
Au début de l’an 2000, j’ai fait un reportage à Dharamsala pour ARTE Info sur un jeune Karmapa de 14 ans échappé du Tibet. Durant l’entretien, une idée percutante m’est venue. Il me fallait impérativement écrire un livre sur lui. Une fois rentré en France, j’ai convaincu un éditeur de m’avancer de l’argent pour réaliser ce projet.
De retour à Dharamsala, j’ai constaté l’ampleur du défi et la peur m’a envahi : je n’avais que trois mois pour écrire un livre à propos d’un type que je ne connaissais pas et sur un sujet inconnu. Par surcroit, les Indiens essayaient de mettre ce Karmapa au secret et ce fut une vraie galère d’obtenir un entretien avec lui.
Mais je n’étais pas au bout de mes peines. Cette interview m’a complètement retourné, car il ne répondait pas à mes questions. J’avais vraiment l’impression qu’il me disait n’importe quoi. Pourtant, il était sérieux… En sortant de cet entretien, j’ai eu la sensation que dix ans de métier venaient de voler en éclats. Je ne pouvais pas écrire un livre avec de telles réponses. Ma réputation de journaliste était mise à rude épreuve.
C’était un échec pour vous?
Non. À ce moment, l’échec était inenvisageable parce qu’il aurait causé l’écroulement de la personne que j’étais. Ce n’était pas une question de peur d’échouer non plus. Je ne pouvais simplement pas envisager de manquer à l’engagement que j’avais pris.
Justement, qu’est-ce qu’un échec pour vous?
(Silence) Je ne sais pas. J’ai vécu des épreuves et des écueils sérieux, mais je ne considère pas avoir vécu d’échecs. Je m’y suis adapté et j’ai essayé de trouver un autre chemin; de transformer ce qui se passait. Même lorsqu’il m’arrive de ne pas pouvoir vendre des photos de voyage parce qu’elles ne sont pas de qualité optimale, je n’y vois pas un échec.
Êtes-vous affecté par le jugement des autres à votre sujet ou au sujet de votre travail?
Je suis extrêmement sensible au regard des autres et à ce qu’on peut penser de moi. Je mets une énergie folle à être juste dans mon comportement, dans ma vie, dans mes actes. Alors, cela me heurte à un point complètement déraisonnable qu’on puisse remettre en question mon honnêteté intellectuelle ou mon honnêteté, tout court.
Ne devrions-nous pas tous être mus par ce que nous sommes, au lieu de suivre ce que les autres voudraient que nous soyons?
Oui, évidemment, mais c’est loin d’être facile. J’ai eu la chance que mes parents me fassent confiance dans la poursuite de mes impulsions. Sur mon chemin, d’autres personnes ont cru en moi pour que je puisse faire ces choix. Ayant vécu 20 ans de précarité professionnelle, je peux témoigner qu’il est tout à fait possible de suivre nos élans et de les mener à bien. Cette voie est ardue, mais si on y investit l’énergie nécessaire, on est toujours aidé.
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