Réenchanter la Vie
Rencontre avec Paule Lebrun
Être des voyageurs de passage et posséder un corps pour se mouvoir dans ce monde-ci est une aventure extraordinaire. Nous l'oublions constamment. Les rituels et plus particulièrement les rites de passage n'appartiennent pas au royaume de la psychologie. Ils nous rappellent que passé le « métro boulot dodo », l'Aventure de vivre est constamment à nos portes et que notre grandeur et notre vastitude sont intactes. Paule Lebrun
Par Sylvie Lauzon, Journaliste
La plupart des cultures tribales considèrent le passage de l'enfance à l'âge adulte comme une seconde naissance. Un passage obligé qui pousse à communier avec la dimension mystérieuse de la vie. Au fil de ses voyages, de ses réflexions et de ses expériences, Paule Lebrun se raconte...
UNE PERCÉE IDÉALISTE DANS UN MONDE PRAGMATIQUE
Dans les anciennes cultures, le passage de l'adolescence à la vie adulte était marqué par des rites puissants qui mobilisaient l'ensemble de la communauté. Ces initiations qui culminaient dans le contact avec les dieux, les combats héroïques et les histoires extraordinaires visaient paradoxalement à briser l'enchantement de l'enfance et à donner un choc de réalité au jeune maintenant capable d'enfanter à son tour.
Une des caractéristiques de l'initiation subie était que lorsque vous reveniez du passage initiatique vous n'étiez plus la même personne qu'auparavant. Selon les cultures, vous ne répondiez plus à votre ancien nom, votre lit d'enfant était brulé, votre corps tatoué prouvait que le passage avait été fait. Ces initiations sur lesquelles reposaient toutes les anciennes sociétés servaient non seulement à marquer le changement de statut social, mais il initiait le jeune au fait que l'existence est beaucoup plus large que ce qu'il pensait, beaucoup plus vaste que la seule vie quotidienne.
JOURNALISME, RECHERCHE INTÉRIEURE ET RENCONTRE AVEC UN MAITRE
La rencontre avec Bhagwan, devenu plus tard Osho, fut un tremblement de terre, un tsunami, une seconde naissance, un mouvement irréversible vers l'inconnu, en dehors de mes préjugés et idées préconçues; une plongée sans retour dans le mystère de l'existence. Il y eut un Avant et il y eut un Après. Ce fut l'évènement majeur de ma vie. Je suis encore habitée d'une gratitude profonde pour cet être magnifique et frondeur qui nous disait : « Je vous enseigne le désespoir pour que vous n'attendiez plus rien de la vie. Une fois que vous avez compris qu'il n'y a rien à attendre, vous pouvez commencer à célébrer. »
SOUL'S WORK
De quoi se nourrit l'âme humaine?
L'esprit humain se nourrit d'idées, de pensées, de réflexions. L'âme se nourrit d'images, de silence, de beauté, de cérémonies, d'histoires, de nature, de proximité avec les mystères de la vie, de chants, de danses, de musique, de participation collective et cosmique. Je dirais que c'est plus musical! En ce sens, notre travail est beaucoup plus près de l'art que de la thérapie. C'est un travail poétique qui crée de l'Éros dans le monde, qui nous rend soudain conscients encore et encore de la splendeur de l'existence elle-même.
En quoi le travail rituel est-il différent de la psychothérapie?
L'approche psychologique cherche à régler un problème qui nous empêche de vivre pleinement notre vie. Le rituel est là pour célébrer un passage de vie, quel qu'il soit. Le mot Célébration est important. La célébration est à la fois festive et sacrée.
Festive et sacrée?
Oui, sacrée. Lors du rituel, les personnes viennent participer à un Mystère. C'est ce qu'elles recherchent. L'Amour et la Mort demandent à être vécus comme des Mystères. Dépouillez ces phénomènes de leur magie et vous aurez une société complètement désenchantée.
Vous parliez plus tôt de l'âme collective. Qu'en est-il de l'âme collective actuellement?
Beaucoup de jeunes aujourd'hui vont àâ¨l'école. Ils sont saturés d'informations et entrent dans leur vie adulteâ¨sans aucune éducation de l'âme. Ils passent à travers des crises existentielles, se résignent à vieillir et meurent sans même s'être rencontrés et avoir compris ce qui a tant manqué dans leur vie. Ces individus non initiés, sans repères, engendrent une société d'éternels adolescents voulant toujours plus de jouets. Il serait intéressant de faire un lien entre la consommation à outrance et le manque de rites initiatiques chez les jeunes hommes et jeunes filles. Plus que jamais dans cette période collective d'entredeux - moment où l'initiation a généralement lieu, où la mort rôde, où le déni de masse est total, où le désespoir et la violence sont à l'état endémique dans le milieu urbain - nous allons avoir besoin de contenants rituels, soutenus par la société, extrêmement solides.
C'est comme épingler un papillon.
La forme est capturée
mais le vol est perdu
Lao Tseu
Nous avons épinglé le papillon?
Oui! Ça, c'est nous. Nous avons finalement épinglé le papillon. Mais nous avons perdu la beauté du vol, d'où notre dépression collective. Quelle perte! La destruction de la beauté du monde n'est pas que le fait des postmodernes. C'est le fait d'un cur froid. C'est le fait d'un état d'esprit qui privilégie essentiellement l'intellect plutôt que le cur. « Si vous voulez me parler du feu, ne me parlez pas de l'oxydation », dit Campbell, « Ça ne me dira pas ce qu'est le feu! »
L'éducation de masse s'attache essentiellement à faire de nous de meilleurs travailleurs et néglige complètement ces questions beaucoup plus radicales qui réfèrent au sens de la vie. Il n'y a pas, à l'école, d'ouverture ou d'éveil au Mystère de vivre et à la Beauté du Monde qui sont si essentiels pour créer un être humain complet. L'âme des ados s'acharne. « I want more! » On lui répond : « Achète! » On lui répond : « Performe! » C'est comme de donner un papier sur lequel est écrit H2O à quelqu'un qui demande à boire. Ce papier n'étanchera pas sa soif!
Version intégrale du texte dans le numéro où est paru cet article