Je vous fais une petite mise en situation… Votre médecin de famille veut vous revoir pour vous parler des résultats de vos dernières prises de sang. Vous qui avez toujours été en excellente santé, selon ce qu’en dit votre dossier médical, il vous apprend que vos tests démontrent une glycémie élevée et que vous avez développé un diabète. En consultant plus attentivement votre dossier, il vous demandera peut-être si vos parents ou votre fratrie ont déjà eu ce diagnostic. Vous vous souviendrez alors que votre père est diabétique et vous vous demanderez si votre diabète ne serait pas, en fait, de la faute de votre génétique familiale…
Dre Catherine Bouchard
Vous pourriez remplacer le mot « diabète » par n’importe quelle maladie chronique. Quelle serait votre première impression? Que, de toute façon, vous n’y pouviez rien, alors aussibien vous résigner? Ou auriez-vous peut-être dû redoubler d’attention pour minimiser les chances de cette expression génétique?
Bien que des tendances familiales soient souvent observées dans l’incidence des maladies chroniques, et qu’il est important de considérer les antécédents familiaux dans l’évaluation globale de la santé, la génétique ne peut certainement pas être un facteur unique. Il n’y a qu’à observer la hausse fulgurante des maladies chroniques et de l’obésité, et ce, même dans la population pédiatrique. Impossible que la génétique en soit la principale coupable!
M’incliner? Moi? Non merci!
Mais d’où proviennent ces mythes tenaces qui nous donnent l’impression que nous devons nous incliner devant notre bagage génétique? Eh bien, ils viennent de très loin! Dans les années 1850, deux idéologies se contredisaient sur les bases de l’évolution de l’espèce humaine.
Charles Darwin, auteur du célèbre livre L’origine des espèces, avait élaboré une théorie selon laquelle l’espèce évoluait grâce à la sélection naturelle pour la préservation du plus fort, une théorie basée sur la notion de compétition entre les individus. Sans connaitre les lois de l’hérédité ou de l’existence des gènes, Darwin croyait que quelque chose pouvait être transmis d’une génération à l’autre permettant aux plus « forts » de transmettre leur « supériorité » à leurs descendants.
Jean-Baptiste Lamarck avait une vision totalement différente. Pour lui, les espèces évoluaient grâce à leurs interactions avec l’environnement. Dans son livre, La philosophie zoologique, Lamarck avait élaboré une théorie basée non pas sur la compétition, mais plutôt sur la collaboration, l’évolution étant issue d’une adaptation d’une espèce en réponse à son milieu de vie.
Bien que la vision de Darwin ait gagné en popularité face à celle de Lamarck, l’histoire nous a montré que sa vision était beaucoup plus proche de la réalité. Cela dit, cette idée que nos caractères soient passés d’une génération à l’autre sans que nous ou notre environnement ayons quelque chose à dire a pris et prend encore aujourd’hui beaucoup trop de place dans notre perception de la santé.
Moitié père, moitié mère
Dans les années qui ont suivi, plusieurs découvertes en génétique ont contribué à renforcer la théorie de Darwin. De 1850 à aujourd’hui, plusieurs scientifiques ont pu découvrir où se cachait cette fameuse « recette » transmise d'une génération à l'autre qui dictait l’évolution de l’espèce. En 1953, grâce aux travaux de la biophysicienne Rosalind Franklin, les Américains Watson et Crick ont découvert l’ADN, cette toute petite structure en forme de double hélice.
Bien caché à l’intérieur du noyau de chaque cellule, l’ADN est le support biochimique des caractères qui sont transmis de façon héréditaire. L’ADN se lie à des protéines appelées histones pour former la chromatine qui, à son tour, se replie sur elle-même pour former les chromosomes. Chaque cellule de notre corps contient ainsi 46 chromosomes soit 23 provenant de chacun de nos parents.
À la conquête des gènes
Devant ces découvertes fascinantes, les scientifiques ont eu l’idée de procéder au séquençage complet du génome humain. Le Projet génome humain, un effort international ralliant plus de 20 milieux universitaires de plusieurs pays a vu le jour. On croyait alors trouver les 100 000 à 200 000 gènes estimés responsables de la création des milliers de protéines et des milliards de cellules qui composent le corps humain.
Les résultats allaient peut-être même permettre d’aider non seulement à une meilleure compréhension des maladies, mais aussi au développement de nouveaux médicaments ciblant les sites défectueux dans nos gènes qui seraient à la base des maladies. Mais avant de se lancer dans ce travail minutieux, il fut décidé à procéder au séquençage de structures plus élémentaires.
De plus petit à…
Ainsi, le premier animal qui fût l’objet d’un séquençage complet fut un petit ver d’à peine un millimètre de long nommé Caenorhabditis elegans. Ce petit ver, composé de 1271 cellules, s’est révélé être porteur de 19 909 gènes.
Un deuxième cobaye soumis à cet exercice a été la drosophile. Cette petite mouche, composée de 50 000 cellules, s’est révélée être porteuse de 13 000 gènes. On a tout de suite présumé que l’être complexe que nous sommes peut avoir au moins 10 fois plus de gènes.
Le séquençage du génome humain, terminé en 2003, a semé la stupéfaction. À la grande surprise de tous les scientifiques, ils ont dû reconnaitre qu’à la base des 37 200 milliards de cellules composant le corps humain, il n’y avait que 21 000 gènes, soit pas beaucoup plus qu’une drosophile ou qu’un petit ver élémentaire!!
Ô déception pour les chercheurs qui espéraient trouver la Grande Recette du corps humain et de la santé. De surcroit, l’étude de l’ADN a démontré que seulement 2 à 3 % de l’ADN pouvait coder réellement nos gènes. On a donc classé comme « inutile » environ 97 à 98 % de notre ADN qu’on a nommé ADN poubelle, traduction de Junk DNA.
Rien n’est déterminé
Bien que ces découvertes puissent avoir entrainé une certaine déception, je crois qu’elles ont plutôt stimulé un désir d’approfondir notre compréhension de la génétique et de la santé, ce qui a donné naissance à une nouvelle science, l’épigénétique, nous permettant ainsi de nous éloigner tranquillement du déterminisme génétique.
Le déterminisme génétique voulant que « vous êtes vos gènes » et que vous ne puissiez rien y changer, a laissé la place à l’épigénétique, soit l’étude des facteurs modifiant l’expression de nos gènes. Bien que des tendances génétiques puissent influencer le risque de développer une maladie, nous savons aujourd’hui que seulement quelques maladies sont purement génétiques, par exemple, la fibrose kystique et la maladie de Huntingdon.
En ce qui concerne les autres maladies chroniques, notre génétique n’influencerait que de 5 à 10 % notre risque de les développer. Alors la bonne nouvelle? Plus de 90 % du contrôle de notre santé nous appartient.
La grande bibliothèque de notre corps
Le suffixe « épi » signifie « au-dessus ». Ainsi, l’épigénétique signifie : « au-dessus des gènes ». C’est, en quelque sorte, ce qui rend les gènes « vivants ». J’aime bien ici utiliser la métaphore de la bibliothèque...
La génétique serait un peu comme tous les livres présents dans notre « bibliothèque de possibilités » et l’épigénétique représenterait les livres qui vont être lus. Notre histoire ne serait donc pas prédéterminée à notre naissance, mais elle serait plutôt comme le livre Dont vous êtes le héros, vous savez, ces livres dans lesquels nous sommes le héros et où nous pouvons choisir la suite de l’aventure.
Optimiser les bons gènes!
Depuis les dernières années, la science de l’épigénétique est en effervescence. On a réalisé que les zones non codantes de notre ADN, soit le fameux 97 à 98 % nommé ADN poubelle, pourraient, en fait, être le siège des mécanismes épigénétiques! Vous imaginez un peu ce que ça signifie! Ce qu’on croyait inutile avait maintenant une grande importance. Plusieurs mécanismes de modulation de l’expression génétique sont aujourd’hui bien connus, comme l’acétylation des histones et la méthylation de l’ADN, deux mécanismes activés par des facteurs reliés à l’environnement qui permettraient ou empêcheraient l’expression de certains gènes.
Les chercheurs ont même développé des outils pour mesurer « l’âge épigénétique » en mesurant le degré de méthylation de l’ADN à des sites spécifiques associés au vieillissement. Ces marqueurs ont permis de mesurer l’impact de plusieurs facteurs environnementaux sur l’expression génétique. L’objectif? Mieux comprendre comment optimiser les facteurs modulant l’expression génétique et ainsi optimiser les gènes associés à la santé et à la longévité.
Revenir à la base
Alors quels sont-ils ces modulateurs capables d’influencer l’expression de nos gènes? Vous reconnaitrez plusieurs des piliers de la santé. Pour n’en nommer que quelques-uns : l’alimentation, le stress, le sommeil, les polluants, le tabac, l’exercice et la composition de notre microbiote.
L’étude de ces facteurs a permis de faire d’importantes réalisations concernant la santé. Par exemple, les études sur le stress ont démontré que l’exposition chronique aux médiateurs de stress, comme le cortisol, entraine des modifications à long terme de l’expression des gènes sur le plan de la sensibilité de nos cellules à la présence des hormones de stress. De plus, cela induit un état d’hyperactivité du système nerveux qui persiste très longtemps.
Les études ont même pu démontrer que le stress vécu dans la petite enfance pouvait entrainer une modulation génétique ayant des impacts à long terme pouvant contribuer à l’apparition de troubles d’apprentissage, de dépression ou d’anxiété. Et pour aller encore plus loin, les chercheurs ont même pu démontrer que les changements épigénétiques pouvaient être transmis d’une génération à l’autre…
De génération en génération
Des études faites dans les familles ayant vécu la famine aux Pays-Bas en 1944-45, aussi appelée l’Hiver de la faim, ont démontré que les enfants de femmes enceintes exposés à cette famine étaient souvent atteints de diabète, d’obésité et de maladies cardiovasculaires, en plus d’être de plus petite taille.
L’hypothèse est que ces changements épigénétiques auraient visé une « protection » contre la famine par une conservation de l’énergie. Mais les impacts ne se sont pas arrêtés à cette génération, car les enfants de ces enfants ont aussi eu des impacts dans leur expression génétique. La famine vécue par la mère aura donc eu des impacts épigénétiques transmissibles.
Bonne nouvelle… C’est réversible!
La bonne nouvelle est que ces modifications ne sont pas « gravées » dans l’ADN. Elles sont entièrement réversibles, comme l’ont démontré les renversements des changements épigénétiques associés au stress chronique par la pratique de techniques de pleine conscience. J’ai donc pensé vous proposer quelques trucs que vous pouvez appliquer au quotidien afin de favoriser une saine expression génétique.
Tout d’abord, afin d’optimiser la méthylation, intégrez une alimentation riche en vitamines du complexe B (comme la B6, B12 et folates) présentes, notamment, dans la viande, le poisson et les légumes verts.
Ajoutez de la couleur dans votre assiette grâce à des fruits, des légumes et des épices de différentes couleurs. Leur contenu en phytonutriments va agir comme appui à l’expression de bons gènes. Une saine alimentation incluant des fibres et des pré/probiotiques est utile aussi à une belle diversité de votre flore intestinale.
Sommeil, stress, exercice
Portez une attention particulière au sommeil en visant un horaire régulier et un sommeil réparateur sera aussi un atout important. Tout comme la saine gestion du stress, par des exercices de pleine conscience, des techniques de respiration ou encore du temps passé dans la nature, vous aidera à mettre toutes les chances de votre côté.
L’exercice est aussi un puissant modulateur de l’épigénétique même en « petite quantité ». Il est aussi essentiel de porter attention aux substances délétères auxquelles nous sommes exposés quotidiennement : éviter le tabac et les drogues, réduire sa consommation d’alcool et d’aliments transformés; consommer des aliments frais et idéalement issus d’une culture biologique; et porter une attention aux produits de soins corporels et ménagers en évitant autant que faire se peut, pour ne pas dire l'élimination totale de produits chimiques.
Miser sur notre environnement
Vous aurez bien compris que votre génétique n’est pas une fatalité et que, mieux encore, l’épigénétique ouvre la porte à de très nombreuses possibilités! Il est devenu évident que nous devons porter plus d’attention à notre environnement qu’à notre arbre généalogique! Et surtout, en optant pour des actions simples au quotidien, nous avons le pouvoir de moduler l’expression de nos gènes afin que s’exprime, sur tous les plans, la meilleure version de nous-mêmes qui soit!
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