« Je suis allé en Corée pour suivre un maitre zen avec ma famille durant trois ans. Ce que j'ai appris, c'est la nécessité d'ancrer sa vie dans une voie spirituelle, quelle qu'elle soit, et de persévérer dans une ascèse en étant bien entouré, car on ne peut pas faire le trajet tout seul, l’autre est crucial. » Alexandre Jollien
Par Lilou Macé
Quand je suis avec Alexandre Jollien, j’ai l'impression que le temps n'existe pas… Je lui ai demandé combien de temps nous avions pour notre entrevue et il m’a répondu : « J'ai tout mon temps. »
Alexandre, le temps, pour toi, c’est…
Je crois qu'au fond du fond, on a tout le temps, même si le moi ou l'égo est chahuté, bouleversé et stressé par le temps. Toutes les pratiques spirituelles nous invitent d’ailleurs à descendre au fond du fond, là où le temps est éternité. Et pour se déconnecter des peurs de l’égo, on a juste une question à se poser : qu'est-ce que l'essentiel? Et l'essentiel, il est hors du temps! Il est, dans le temps du présent, une définition qui dépasse complètement l’égo.
Ici on entre au cœur du sujet d’un de tes livres : Vivre sans pourquoi?
Dans ce livre, j’explique que l'égo fonctionne toujours comme un expert-comptable. Il calcule, spécule… Il veut encore et toujours des choses et c'est ce qui nous rend addicts aux désirs, à la passion. Pour sortir du piège, on doit oser une vie plus contemplative, plus présente, plus disponible à l'autre. Ce sont autant de petits pas que nous pouvons faire au quotidien.
Finalement, quand on n’attend rien de la vie, sans contrainte de temps, au-delà de l'égo, il y a cet espace qui est connecté à quelque chose de Grand qui nous traverse, qui nous guide?
Déjà, de vouloir être sans attente, c'est une attente. Donc on est mal barré. (sourire) L'idée, c'est plutôt de faire face à ses attentes et de voir d'où elles viennent. Personnellement, une idée qui m'aide beaucoup, c'est celle qu'on ne peut pas guérir de toutes nos blessures. Nietzsche parle de la grande santé. On ne peut pas tous et toutes avoir une santé parfaite. Moi je ne l'ai pas, j'ai une fragilité physique. Mais pour Nietzsche, la grande santé, c'est de faire avec nos maladies, faire avec le handicap, faire avec les moyens du bord, c’est faire aussi avec nos blessures. Autrement dit, la grande santé ce n'est pas de liquider tous les problèmes, tous les traumatismes, c'est accueillir la paix au sein même du chaos quotidien.
Nous devons trouver un équilibre entre le corps, l'âme et l'esprit en accueillant ce qui se passe tout autour...
Oui, exactement. Nietzsche dit une très jolie phrase : « Il faut encore porter du chaos en soi pour accoucher d'une étoile qui danse. » Autrement dit, le chaos, bien qu'il fasse peur, peut être une source de lumière pour autant qu'on apprenne à danser avec les autres, avec la Vie et même avec le tragique de l'existence.
Tu as trouvé cette étoile en toi?
Cette étoile m'est donnée grâce aux autres, grâce à la solidarité. Pour danser, il faut être au moins deux et le rôle de l'autre est majeur dans notre existence.
Quelles ont été pour toi les étapes quand tu as commencé ce voyage intérieur?
Eh bien, je pense que ça redémarre chaque jour. Dans le zen, on dit qu'à chaque respiration on meurt et on renait. Une des pratiques du zen veut qu’à chaque fois qu'on franchit une porte, on laisse derrière nous tous les paquets de préjugés qu'on a sur la vie, sur soi… Autrement dit, on meurt à soi-même pour renaitre constamment. Pour moi, la spiritualité ce n'est pas l'accumulation d'expériences, c’est plutôt de se départir de tout ce qu'on croit être pour se laisser guider par l’instant qui se présente, et par la Vie ici et maintenant.
Version intégrale du texte dans le numéro où est paru cet article