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DOSSIER : Placer les enfants au cœur de nos priorités Rencontre avec le Dr Gilles Julien

DOSSIER : Placer les enfants au cœur de nos priorités Rencontre avec le Dr Gilles Julien

Vulnérabilité, fragilité, précarité sont tous des mots qui parlent de plus en plus de nous tous, de la société dans laquelle nous vivons.  La pandémie nous a remis face à nous-mêmes. Elle a suspendu le temps. Isolés, chacun de son côté, privés en grande partie des contacts qui nous sont si chers, nous nous sentons plus fragiles, plus vulnérables. 


Par Sylvie Lauzon, Journaliste

 

Le Docteur Julien, qui pratique la pédiatrie sociale en communauté depuis plus de 40 ans croise des enfants, des parents, des familles, des êtres humains vulnérables, tous les jours, voire plusieurs fois par jour. 

La grande vulnérabilité fait partie de son quotidien. Pour la plupart, les personnes qu’il reçoit dans ses cliniques traversent des tempêtes inimaginables dont il est difficile de s'en sortir indemne. En 40 ans de pédiatrie sociale en communauté, le Dr Julien a lui-même traversé des tempêtes. 

La vie, comme une course à obstacles
Vouloir transformer le système implique nécessairement de grands bouleversements. Des succès comme des échecs. Dans son dernier livre, Gilles Julien, Une vie comme une course à obstacles, il nous parle justement de sa vie comme d’une course à obstacles, des obstacles qui l’ont amené à se remettre en question à plusieurs reprises. 

À 75 ans, il peut affirmer qu’il a réalisé presque tous ses rêves. Même si les astres lui ont été le plus souvent favorables, il a fait lui-même sa chance. Pas question de retraite pour le Dr Julien; il espère continuer d’être à l’écoute des enfants et les aider à concrétiser leurs rêves encore longtemps. 


NOS ENFANTS

« C’est quoi un enfant? C’est une très bonne question, parce qu’elle est fondamentale. Un enfant représente la plus grande richesse d’une société, c’est précieux. Les enfants ne sont pas des mini adultes. Ils sont des êtres humains à part entière. Ils comprennent tellement plus qu’on pense. Ils savent tout ce qui se passe dans la maison. Même les bébés qui pleurent nous guident parfois dans certaines interventions. Chaque enfant possède en lui la capacité et les solutions. » 

« Il est vulnérable, parce que pendant les premières années de sa vie, il a besoin de ses parents pour répondre à ses besoins essentiels. Mais rapidement, si on leur en donne l’occasion, les enfants savent où trouver leur sécurité, leurs solutions, même s’ils vivent dans des conditions précaires. Quand on décide pour un enfant, sans lui, sans lui parler, ça ne marche pas. Tout parle chez un enfant, ses gestes, ses yeux, son silence. C’est un scandale quand des décisions sont prises sans les enfants et les familles. On les dit précieux, mais les enfants sont la plupart du temps maintenus dans l’ignorance. »

Déjà, adolescent…
À 17 ans, Gilles Julien savait déjà qu’il voulait devenir médecin pour les enfants. Issu d’un milieu modeste, c’est le patron de son père qui propose de payer ses études dans un collège privé. Il ne veut pas grandir et se soumettre aux plus riches ou aux plus puissants. Il ne veut pas être né pour un petit pain. En grandissant, il se mettra de la pression. L’anxiété a fait et fait encore partie de sa vie. 

Comme une médaille a toujours deux faces, cette même anxiété, qui lui impose l’obligation de réussir le pousse également à développer une grande volonté d’aider les autres. À l’école, il est attiré par les enfants mal habillés qui fréquentent les mêmes classes que lui. Il constate déjà qu’on ne nait pas tous égaux, que les classes sociales existent. Dans le livre des finissants du Séminaire Sainte-Marie de Shawinigan, on dit déjà de lui « qu’il incarne le type d’humaniste qui a intégré les plus hautes valeurs en vue d’atteindre l’objectif qu’il s’est fixé : devenir le médecin des enfants ».

Avec sa mère, il distribue jouets et vêtements aux enfants moins favorisés. Jamais il n’oubliera les sourires de ces enfants à qui ils faisaient plaisir. Déjà, ça le rendait heureux. Enfant sensible, il commence à comprendre que l’empathie favorise les rapprochements, que l’empathie favorise les rapports égalitaires, que c’est gratuit, et qu’être empathique peut contribuer à transformer le monde. 


DÉFRICHEUR D’ESPOIR

« On me demande encore tous les jours ce qu’est la pédiatrie sociale en communauté. J’explique que je mets la médecine au service des enfants blessés par la communauté. Ce n’est pas une médecine traditionnelle, c’est plutôt une médecine rassembleuse avec une expertise médicale forte. Le médecin s’associe avec d’autres professionnels de la santé physique et mentale, des professionnels du psychosocial, des éducateurs, des art-thérapeutes, des avocats et des organismes communautaires afin de défendre les droits des enfants. » 

« Notre objectif est de créer dans la communauté par la communauté un grand cercle protecteur autour des enfants. La pédiatrie sociale en communauté traite autant de la santé des enfants que de prévention, de négligence et d’abus, de justice sociale et d’équité. À force de ne pas les entendre, de ne pas leur donner la parole, nous rendons nos enfants malades, nous les tuons à petit feu. »

« Le cercle protecteur de l’enfant que l’on intègre à tous les niveaux dans la communauté devient une première ligne médicale essentielle et le filet social dont nous manquons cruellement. Ce n’est pas à l’État d’assumer ce rôle, mais les communautés et les familles doivent en être les porteuses. Les communautés peuvent soutenir bien mieux que l’État les enfants et les familles en difficulté. »

« Quand l’enfant est réceptif, nous partons avec lui et les parents nous suivent. L’enfant est toujours le centre d’intérêt. Il peut s’assoir où il veut, parler ou ne rien dire. On s’adresse constamment à lui et on le valide. Les enfants parlent beaucoup quand ils sont apprivoisés. Quand tu vis dans le silence et l’exclusion, tu es plus vulnérable. Dans nos cliniques, on donne la parole aux enfants. On les pousse même à prendre leur place. » 

« Certains de nos groupes d’enfants sont allés parler de leurs droits jusqu’à l’ONU; d’autres ont parlé d’intimidation avec le premier ministre du Québec. Un autre groupe d’enfants de huit ans a même offert une formation sur les droits des enfants aux étudiants en droit de l’Université McGill. Nous tenons de plus en plus compte du droit total de parole de l’enfant et de sa participation entière aux décisions. Je trouve que nous réduisons beaucoup notre liberté et notre créativité quand on refuse de reconnaitre que l’humain est doté d’un esprit puissant à tout âge. »


SI C’ÉTAIT À REFAIRE…

« J’ai toujours eu les mains libres. Dès que je rencontre un obstacle, je me mets en mode action, sinon mon humeur devient morose. C’est ce qui arrive souvent aux jeunes intervenants qui finissent par se faire avaler par la souffrance des autres. La souffrance des enfants et des familles me touche, bien sûr, mais je la sublime en me mettant en action, en faisant du sport et en m’adonnant à la sculpture. J’ai de la chance, Hélène m’écoute, c’est une précieuse alliée. Elle a sauvé la Fondation plusieurs fois en 30 ans. Il y a de l’espoir. »  

« Je veux que le système se bonifie. On a besoin de la DPJ pour les cas d’abus. Mais nous devons laisser la responsabilité aux parents et aux milieux quand il s’agit de négligence en les encadrant quand c’est nécessaire. Quand on leur en donne l’occasion, les familles se mobilisent et font mieux. Si c’était à refaire, je ne changerais rien. »

Version intégrale du texte dans le numéro où est paru cet article

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