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DOSSIER : « Je Suis » Voilà l’Essentiel… Rencontre avec Christophe Fauré

DOSSIER : « Je Suis » Voilà l’Essentiel…  Rencontre avec Christophe Fauré

 

« Nous portons tous, en nous, une dimension de paix fondamentale et il est de notre devoir, je dirais même que notre plus grande responsabilité envers nous-mêmes, c'est de cheminer en prenant conscience que nous sommes cette paix. C’est ça l’Essentiel. Ensuite, une fois qu’on l’a découvert, c’est de l’acter dans le monde. » Christophe Fauré


Lucie Douville


Christophe Fauré était un petit garçon très joyeux, très curieux. Il élevait des fourmis dans un bocal en verre pour les voir creuser le sol. C’était aussi un enfant très doux, très gentil, qui s’intéressait aux étoiles, à la mythologie, aux planètes; qui lisait et dessinait beaucoup. 

C’était un enfant assez insouciant, comme tous les petits garçons de son âge, mais il était aussi très lucide sur le fait que le couple de ses parents vivait en grand tourment. Il sentait une tension très forte à la maison, ce qui ne pouvait faire autrement que de créer une insécurité en lui.

Pour sauver l’autre à tout prix
Ce petit garçon va vouloir sauver sa mère de toute la tristesse qu’elle vit. Cette mission, impossible à réaliser, le plongera dans un sentiment d’impuissance qui demandera des années à être libéré, mais qui, parallèlement, le conduira sur son chemin de vie. Après avoir fait lui-même 3 dépressions, une à 7 ans, l’autre à 14 ans et la dernière à 20 ans, il sera psychiatre, pour ensuite devenir moine bouddhiste et, finalement, revenir à sa profession première.

Avec du recul, il nous dira : « Comme j'aime beaucoup la personne que je suis maintenant, je ne voudrais rien changer qui puisse modifier mon passé. Même si ç’a été difficile à vivre. »


CE PSYCHIATRE M’A SAUVÉ LA VIE

Il nous raconte : « C’est là où j'ai rencontré ce psychiatre qui m'a sauvé la vie en diagnostiquant la dépression. J’ai donc pu, dans un premier temps, être médicamenté pour m’aider. Je sais qu’il y a une réticence face aux médicaments, mais en sortant de la dépression, j’ai réussi à comprendre la source de mon mal-être : j’avais appris à répondre aux besoins des autres avant de répondre aux miens.

Est-ce venu influencer votre choix de spécialisation?
C'est évident! Il y avait peut-être autre chose d’inconscient, mais clairement je me disais : « Si je n’ai pas réussi à aider maman, comment je peux aider les autres? »

Le choix de devenir psychiatre était-il aussi pour vous aider, vous?
J’ai bien entendu effectué un travail sur moi. J’ai compris que quand j’étais petit, ma tonalité dominante c’était l’impuissance à aider, à apporter du réconfort et, en étant psychiatre, j’allais apprendre des outils et développer des stratégies pour sortir de cette impuissance, aussi bien la mienne que celle de mes patients. Je pouvais donc « soigner » mon impuissance d’enfant en me donnant les moyens de ne plus être dans l’impuissance. Ç’a été déterminant pour moi.

Quand j'ai choisi de devenir psychiatre, en 1987, c’était au moment où apparaissait l'épidémie du sida à Paris. Dans mon stage d’externat, même si je faisais face à l'impuissance quand la vie s'arrête, curieusement, j'étais à l'aise avec cette forme d’impuissance, car elle n’était pas générée par la non-estime de soi ou la dépression, elle était amenée par la Vie.

Quelque chose en moi disait : « Ça, je sais faire. Je sais accompagner ça. » C'est là où j'ai commencé mon chemin dans les soins d’accompagnement des personnes en fin de vie et, en deuxième ligne, l'accompagnement des personnes en deuil.


J’EN PEUX PLUS!

Tout allait bien dans votre vie professionnelle et puis, un jour, vous dites vous être retrouvé face à un mur. Que s’est-il passé?
J'étais déjà bien installé dans ma pratique. J’avais un cabinet et je travaillais dans un hôpital au niveau des maladies infectieuses, comme le sida. Mais, un jour, alors que je raccompagne un patient et que je vais me faire un café à la cuisine, je me suis dit : « J’en peux plus! » C’était assurément les prémices du burnout. Je vivais aussi une grande fatigue intérieure occasionnée par le fait d'accompagner les gens en voulant à tout prix, mais à tout prix qu’ils aillent mieux…

En parallèle, dans les 3 dernières années, j'avais commencé à découvrir le bouddhisme. J’avais aussi commencé à intervenir dans le sud-ouest de la France, à Dhagpo Kagyu Ling, où je faisais des séminaires sur le bouddhisme et la fin de vie, le bouddhisme et la mort d’un enfant. Mais je devenais de plus en plus conscient qu’il fallait que je fasse quelque chose pour moi maintenant. J’allais avoir 40 ans et la quête d’une dimension spirituelle m’habitait, elle voulait s’exprimer.

La pratique du bouddhisme avait donné vie en moi à une fleur qui s’ouvrait et qui avait besoin d’exister. Cet appel spirituel me disait : « Prends soin de toi. Tu as un trésor et tu n’en prends pas soin. Vas-y! » C’est ce qui a amorcé le mouvement de tout quitter pour aller vivre au monastère.

Avant de choisir de tout quitter pour prendre refuge, qu'est-ce que le bouddhisme avait apporté dans votre vie?
Cohérence et vision. J'ai trouvé dans le bouddhisme une vision qui m’a permis de comprendre que tout est porteur de sens. Rien n’est absurde. Tout est cohérent. Au-delà de ce que l'on voit, il y a une dimension de notre être qui est là et qui sait exactement ce dont on a besoin. Déjà, tout jeune, j’avais été touché par des personnages tels que Saint-François d'Assise. Et par sa conviction absolue que le Divin est là, qu'Il régit le monde et qu'on est invité à s’y abandonner.

Moi qui étais toujours en contrôle, cet appel à l'abandon à ce « quelque chose » qui est d’une cohérence fondamentale, ça m'a profondément touché. Ça me disait : « Tu n'as pas à contrôler. Tu peux lâcher. Tu peux t'en remettre à… » Avec le bouddhisme tibétain, je me suis immédiatement senti à la maison, la mienne. C'était évident.


OK… TU RENTRES!

Nous étions toujours sur le lieu même où le Bouddha a atteint l'éveil, et puis, par un matin très doux, j’étais devant la grande statue du Bouddha de Bodhgaya, et ça s'est imposé à moi : « OK. Tu rentres. » Même si ça me déchirait le cœur parce que j'avais été heureux comme jamais, il y avait un truc qui était très juste à l'intérieur de moi par rapport à mon chemin de vie. Et, après plusieurs mois, je me suis retrouvé dans un petit studio à Paris.

Comment s'est passé votre retour « dans le monde »?
Alors là, tu prends un lapin et tu le retournes les tripes à l'air. (rire) Non, ç’a été tellement, tellement difficile… Retrouver le béton de Paris. Retrouver le stress de Paris. Quitter la nature. Quitter cette communauté que j'adorais. Retrouver cette solitude que j'avais complètement oubliée. Moi qui avais vécu 24 heures sur 24 avec des gens qui avaient choisi le même axe de vie, là je retrouvais la sauvagerie de la vie de tous les jours et, en même temps, l'extrême détresse des personnes qui n'ont pas une vie spirituelle.

Votre expérience avec le bouddhisme a-t-elle changé votre pratique?
Ça n'a pas changé ma pratique. Ç'a changé mon être et mon être étant changé, ç’a changé ma pratique. En essence, ç'a amené une confiance fondamentale qui m’apportait un calme, une assise, qui m’a permis de mettre l’accompagnement de fin de vie et du deuil dans une perspective beaucoup plus large, beaucoup plus tranquille. Je pouvais accueillir cette détresse-là, sans forcément essayer de sauver les gens.


MA MAISON EST DÉJÀ LÀ, EN MOI!

Le cadeau incroyable qui m'aura été fait, c'est de réaliser que cette maison est déjà en moi, peu importe où je suis. Quand je me retrouve avec des personnes qui sont en quête de leur maison, je pense qu’elles sentent que j'ai trouvé ma maison. Il y a une confiance qui s'installe. Inconsciemment, elles se disent : « Oh là là! Il a trouvé le chemin vers sa maison. Il va m'aider à trouver mon chemin. »

Dans votre travail en soins palliatifs, le bouddhisme a-t-il changé votre vision de la vie et de la mort?
Ça inscrit l’existence humaine dans une perspective beaucoup plus vaste, une perspective de continuité de la Conscience. Ça vient nous dire que cette vie n’est qu’un temps dans le vaste développement de la Conscience.

J’ai donc une certitude absolue de la continuité de la Conscience après la mort qui me permet d'aborder la fin de vie de façon beaucoup plus tranquille. Je suis beaucoup plus présent aux gens quand je les accompagne parce que je ne suis plus happé par l’aspect émotionnel. J’ai, en moi, la certitude absolue qu'on se retrouve après la mort.

Version intégrale du texte dans le numéro où est paru cet article

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