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ÉDITORIAL : Moi et l’autre…

ÉDITORIAL : Moi et l’autre…

Il y a moi et l’autre. En fait, je devrais dire les autres, car de ma naissance jusqu’à aujourd’hui, ils sont nombreux à avoir traversé la scène de ma vie, jouant parfois des rôles dignes de la comédie burlesque ou de la tragédie grecque, tout ça pour me permettre de retrouver qui j’étais quand je suis arrivée… 

Pourquoi se retrouver? Les expériences que nous avons rencontrées nous ayant souvent forcé à nous élaguer pour nous adapter, le défi de notre vie sera de rapatrier tous ces petits bouts de nous que nous avons dû abandonner sur le bas-côté, juste pour être aimés. L’autre viendra nous offrir cette opportunité.

De la toute-puissance à l’obéissance
Dans les trois ou quatre premières années de notre vie, notre Moi est tellement puissant que, dans notre tête d’enfant, l’autre n’est qu’un pion à déplacer sur notre échiquier. Mon petit-fils de quatre ans, Christopher-James, est justement dans cette partie de sa vie où il y a moi et… moi. L’autre est accessoire. 

Mais ce règne tire à sa fin… Il va bientôt comprendre que l’autre a beaucoup plus de pouvoir qu’il ne l’avait imaginé, voire même que sa survie tient entre ses mains. Il devra donc faire des compromis sur qui il est pour rester dans les bonnes grâces de ceux et celles qu’il avait jusque-là pris pour valets.

Vivre dans le regard de l’autre
Il va donc apprendre à vivre dans le regard de l’autre, scrutant la moindre de ses réactions face à ce qu’il dit, ressent ou fait, pour être sûr que l’autre est satisfait. Faute de quoi, il s’ajustera.

On me dit trop sensible? Je vais me bétonner. Je prends trop de place? Je vais me confiner. L’autre aime les enfants sages? Je le serai... Quitte à contenir ma joie de vivre et mon intensité. Il y a un prix à payer pour être aimé et faire des concessions sur qui je suis en fait dorénavant partie.

Je suis qui on veut que je sois
« Qui je suis » devient lentement « qui l’on veut que je sois », anesthésiant au passage les traits de ma personnalité qui ne sont plus compatibles avec le rôle qu’on me demande de jouer. Mais j’aurai beau mettre toute mon énergie à masquer, confiner, anesthésier ces parties de moi, elles seront toujours là! 

C’est ici que l’autre entre en scène, tel un prince charmant venant nous donner un « doux » baiser, juste pour réveiller ce qui, en nous, est profondément endormi. Mais ce doux baiser pourra prendre des formes inusitées : infidélité, manipulation, mise à pied, trahison… L’intensité du « baiser » sera adaptée à l’éveil qu’il doit provoquer. 

C’est de sa faute!
Le piège dans lequel nous tombons toutes et tous au début, c’est de rejeter la faute sur l’autre, comme si nous n’étions que de pauvres victimes impuissantes. Mais où est passée la toute-puissance de notre enfance? 

Accuser l’autre de tous nos malheurs, c’est un peu comme d’en vouloir au soleil qui s’est levé de nous avoir réveillé ou d’en vouloir au miroir parce qu’on peut s’y voir. C’est surtout passer à côté d’une magnifique opportunité! Celle de retrouver tous ces petits bouts de nous que l’on a sacrifiés juste pour être aimé. Mais pour y arriver, on doit assumer notre responsabilité, sans vouloir la faire porter.

Tout ce qui me touche ne parle que de moi
Finalement, Christopher-James avait raison. Pour le plus grand bien de mon évolution, l’autre n’est en réalité qu’un pion qui se déplace sur mon échiquier pour me forcer à me retrouver. À chaque « baiser » qu’il vient me donner, plutôt que de m’effondrer, je dois au contraire m’élever pour voir ce que ce « baiser » vient réveiller! 

Peut-être vient-il me dire qu’après m’être confinée, je dois maintenant prendre ma place; qu’après m’être désensibilisée, je dois reconquérir une juste sensibilité; qu’après avoir étouffé ma joie de vivre, il est grand temps de la réanimer.

Je suis qui je suis
Je suis arrivée ici en étant pleinement qui je suis. Pas question que je reparte en étant quelqu’un d’autre! Aujourd’hui j’ai compris. Personne n’a à faire de compromis sur qui il est juste pour être aimé, car le plus bel amour qui soit, c’est l’amour de soi! Dieu merci, l’autre sera toujours là pour nous le rappeler.

 

Lucie Douville, Éditrice

Version intégrale du texte dans le numéro où est paru cet article

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