Quand Pensouillard ne pensouille plus
Pensouillard est un hamster de plus en plus célèbre. En fait, nous le côtoyons tous quotidiennement, sans que nous en soyons nécessairement conscients. Pensouillard, c'est cette petite bête qui tourne parfois – voire tout le temps! – dans notre tête, et qui peut générer plus de pensées à la seconde que nous ne sommes capables d'en gérer; sans oublier que sa propension au drame est, à ce jour, inégalée. Alors, comment mettre son énergie à profit plutôt que d'en être asservi?
Ce hamster, du nom de Pensouillard, c'est la métaphore que le Dr Serge Marquis a eu le génie de nous transmettre dans un livre du même nom, livre aussi charmant que percutant, devenu bestseller dans plusieurs pays. Le succès de ce livre correspond, en fait, à une souffrance qui nous est de plus en plus insupportable, soit celle du stress ou de l'angoisse que nous vivons aussi bien dans notre vie personnelle que professionnelle.
Médecin spécialiste en santé communautaire et en médecine du travail depuis 30 ans, ses champs de prédilection sont le stress, l'épuisement professionnel et la détresse psychologique au travail, détresse qui finit par déteindre sur notre vie en entier.
Qui va gagner la bataille?
Il y a une dizaine d'années, je l'avais interviewé sur ces mêmes thèmes. À l'époque, il bourlinguait déjà d'un bout à l'autre du Québec pour nous aider à éviter les pièges du stress professionnel. On aurait pu croire qu'en étant de plus en plus conscientisés à ces questions, les choses se seraient améliorées, mais il parait que non. Pensouillard se joue encore pas mal de nous, parait-il. Mais gagnera-t-il la bataille? Ha ha! C'est ce qu'on verra mon petit Pensouillard!...
UNE DÉTRESSE QUI AUGMENTE
Depuis toutes ces années où vous sillonnez le monde pour prévenir le stress, constatez-vous une amélioration de la qualité de notre vie au travail?
Malheureusement, non. Ce que j'avance n'est pas basé sur une étude scientifique, mais j'observe réellement une augmentation de la détresse psychologique et de la souffrance, et ce, à travers toutes les couches d'âge.
Y a-t-il des thèmes récurrents reliés à cette souffrance?
Quand les gens arrivent dans mon bureau pour en parler, ils disent deux choses : « Je ne sais plus qui je suis. Je ne sais plus où je vais. » Ces deux dimensions, qui sont intimement liées, reviennent constamment : la quête d'identité et la quête de sens. Si nous savons où nous allons, nous nous posons moins de questions sur qui nous sommes. Si nous savons qui nous sommes, nous nous posons moins de questions sur là où nous allons. Mais si nous ne savons plus ni qui nous sommes, ni où nous allons, nous sommes perdus
PENSOUILLARD OU L'AGITATION DE L'ÉGO
Entre les lignes de votre livre, nous comprenons la nécessité d'apprendre à s'aimer soi-même. Cela veut-il dire qu'au fond, notre petit hamster est constamment pris dans l'image qu'il a de lui-même?
C'est exactement ça. La science a fait une découverte formidable au cours des dernières années. Quand on y pense, c'est une évidence, mais bizarrement, on n'avait jamais réalisé qu'à notre époque la réaction de stress n'est plus seulement déclenchée par la perception qu'a le cerveau d'une menace à la survie, mais par la perception qu'a le cerveau d'une menace à l'égo. Aussitôt que le cerveau perçoit une menace à l'égo, il déclenche une réaction de stress qui nous met en mode lutte, en mode fuite ou en mode « je fige ».
Et le problème vient du fait que nous nous croyons tout le temps en danger de survie?
Exact. Le cerveau ne fait plus la distinction entre la perception d'une réelle menace à la survie et la perception d'une menace à notre image. Prenons un exemple concret : je dois présenter un projet à l'intérieur de mon organisation. Au moment où je le présente, certaines personnes émettent des commentaires - verbaux ou non verbaux - que mon cerveau perçoit comme étant négatifs. Si je me suis totalement identifié au projet, le cerveau va déclencher instantanément une réaction de stress. Je vais soit lutter, fuir, ou figer. C'est le fameux fight, flight or freeze. Je suis soudainement gelé dans ma présentation; ou bien je peux avoir envie de foutre le camp; ou je peux avoir envie d'agresser les personnes qui sont en face de moi. Tout ça survient en une fraction de seconde.
Le hamster est constamment à l'affut, comme une espèce de coureur des bois. Il est toujours prêt à détecter le moindre signal pouvant constituer une menace à l'égo, à ce à quoi nous nous sommes identifiés. Il va déclencher la réaction et l'inconfort va surgir. Si cela s'enchaine à d'innombrables reprises au cours d'une journée, la souffrance sera grande, mais si ça perdure au cours d'une année, la souffrance deviendra intolérable. Alors qu'on est en quête d'attention et de reconnaissance extérieure, on va se sentir rejeté.
Nous ne sommes plus du tout dans le réel, mais bien dans les histoires que le hamster nous raconte?
Constamment, absolument, totalement! Notre grand défi consiste à développer une vigilance qui va nous permettre d'observer les mouvements du hamster. Quand nous réalisons que nous ne sommes pas dans le réel, il s'agit de ramener l'attention au moment présent, dans ce qui est concret, réel, ici et maintenant.
Par Marie-Josée Tardif, Journaliste et auteure
Version intégrale dans la parution de JANVIER 2017. Aussi sur IPAD
Version intégrale du texte dans le numéro où est paru cet article